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Enjeux économiques et sociaux, opposition interne, guerre en Éthiopie, mais aussi relations avec la France, la Chine et les États-Unis... À moins de cinq mois de la présidentielle, le chef de l’État dresse le bilan de son action.
Le virus a débarqué clandestinement à Djibouti un soir de la mi-mars 2020, à bord d’un avion militaire espagnol en provenance de Séville. Huit mois plus tard, le tueur silencieux rôde toujours malgré les « trois T » (tester, traiter, tracer) rapidement mis en œuvre par les autorités sanitaires, lesquelles ont à ce jour dépisté 8 % de la population – soit le taux le plus élevé de la région.
Même si le gouvernement de cette cité-État de 1 million d’âmes table sur un scénario optimiste – un rattrapage de la croissance en 2021 –, les effets de la pandémie de Covid-19 pèsent lourdement sur une économie stoppée en pleine expansion. La ligne de chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba, l’une des artères vitales du pays, fonctionne au ralenti, et l’imposant hôtel de la plus vaste zone franche du continent, à quelques kilomètres de la capitale, reste désespérément vide. « Ce n’est qu’un contretemps, nos fondamentaux sont solides », affirme pourtant Aboubaker Omar Hadi, patron de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti et l’un des plus proches collaborateurs du chef de l’État. Les « fondamentaux »? La position incontournable de cette ancienne colonie française le long de la deuxième route maritime la plus fréquentée au monde, porte d’entrée commerciale de toute une partie de l’Afrique avec, derrière elle, un marché de 400 millions d’habitants. Sa situation géostratégique, aussi, terre d’accueil convoitée des bases militaires étrangères. Sa stabilité politique, enfin: contrairement à ce qu’il se passe ailleurs, les élections ne sont pas ici synonymes de haute tension.
Tout cela, joint à une gouvernance que l’opposition juge autoritaire et qui, il est vrai, considère le développement ainsi que la lutte contre la pauvreté endémique et le chômage comme prioritaires par rapport à l’extension du domaine des libertés, explique qu’à 73 ans Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, affiche une sérénité inoxydable. Même si l’intéressé se refuse encore à le dire, nul ne doute à Djibouti que l’homme qui a longuement reçu JA au palais présidentiel sera candidat à sa succession à la présidentielle d’avril prochain. En position écrasante de favori, comme si l’exercice ressemblait à une course hippique à un seul cheval.
Jeune Afrique : Parmi les multiples projets de développement du hub de Djibouti que l’on vous a vu inaugurer ces derniers mois malgré la pandémie, et qui vont du nouveau port pétrolier de Damerjog à la cité d’affaires de la capitale, en passant par le chantier de réparation des navires de guerre, il en est un qui retient particulièrement l’attention: celui du corridor routier reliant le port de Tadjourah au nord de l’Éthiopie. Votre objectif est-il de devancer la concurrence prévisible du port érythréen de Massawa, rendue possible par le dégel des relations entre Addis-Abeba et Asmara?
Ismaïl Omar Guelleh : À long terme, oui, il faut toujours avoir des longueurs d’avance. Mais cette concurrence n’est pas pour demain: accéder à Massawa via une voie ferrée moderne nécessite des travaux de réhabilitation, de mise aux normes et de construction extrêmement coûteux et complexes compte tenu de la topographie accidentée de cette région.
Autre concurrent, à plus court terme celui-là : le port de Berbera, au Somaliland, où votre ancien partenaire, l’émirati DP World, compte investir massivement…
Massivement ? Je n’ai rien vu de tel pour l’instant, si ce n’est des projets. DP World excelle dans les effets d’annonce, mais ensuite, hélas, il n’y a rien. Pas même une grue. Nous sommes payés pour le savoir.
À ce propos, où en est le contentieux commercial entre Djibouti et DP World, que vous avez écarté de la gestion du port de Doraleh, il y a plus de deux ans?
Toujours devant les tribunaux, à Londres, et bientôt peut-être aux États-Unis. Ces gens qui refusent obstinément de discuter avec nous autour d’une table ne sont pas intéressés par l’argent. Ils sont trop riches pour cela. Ce qu’ils veulent, c’est récupérer la totalité de leur ancienne position de monopole. Leur attitude relève d’une volonté de contrôle géopolitique de tous les ports de la région. Mais Djibouti n’est pas une case sur un échiquier: nous ne reviendrons pas en arrière.
À la mi-septembre, vous avez lancé le Fonds souverain de Djibouti, qui sera doté à terme de 1,5 milliard de dollars et dont l’État est le seul actionnaire. D’habitude, les fonds souverains sont l’apanage des pays riches. Quelle est votre logique?
« On n’a pas de pétrole, mais on a des idées » : vous souvenez-vous de cet adage français des années 1970? Eh bien, nous aussi. J’ai demandé à Lionel Zinsou et à Donald Kaberuka de réaliser une étude de faisabilité en s’inspirant de modèles qui ont fait leurs preuves, comme le Fonds de Singapour ou celui du Sénégal. Il s’agit de nous libérer en partie des méthodes traditionnelles de croissance par l’endettement, de mutualiser nos ressources internes pour créer un effet de levier, d’attirer de nouveaux financements, de favoriser la création d’entreprises et d’emplois, et, enfin, de faire croître notre richesse globale. Aujourd’hui, le Fonds souverain de Djibouti est opérationnel. Les décrets de mise en œuvre ont été signés. L’équipe est en place, dirigée par un cadre sénégalais spécialiste de ce type de dossiers, que j’ai débauché de chez le président Macky Sall avec l’autorisation de ce dernier. Ce fonds, placé sous ma tutelle directe, appartient à Djibouti et aux Djiboutiens.
L’endettement de Djibouti à l’égard de la Chine a longtemps été jugé excessif. Est-ce toujours le cas?
Notre « dette chinoise » est beaucoup moins élevée que ce que l’on a pu prétendre. Elle est de 450 millions de dollars, contre 16 milliards pour l’Éthiopie et 20 milliards pour le Kenya. Nous avons beaucoup travaillé sur le rééchelonnement et sur le service de la dette. La ligne de chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba, qui est pour une large part à l’origine de cette dette, sera privatisée dans sa partie gestion, les deux États conservant les infrastructures.
Cette ligne est-elle rentable?
Il faudrait pour cela atteindre dès que possible une fréquence de dix trains quotidiens. C’est notre objectif. Pour l’instant, en raison de la pandémie de Covid-19, nous en sommes à deux ou trois.
L’emploi des jeunes et la croissance inclusive sont les principaux défis auxquels votre pays, marqué par une pauvreté structurelle qui touche près de 40 % de la population, est confronté. Comment les relever?
En menant un combat permanent, tous azimuts : logements sociaux, santé, éducation, formation professionnelle. La proportion de la population souffrant de ce que l’on appelle la pauvreté multidimensionnelle a diminué de plus de 15 % au cours de ces huit dernières années, surtout en milieu rural. Le PIB par tête, qui indique le pouvoir d’achat des Djiboutiens, a crû de 10 % durant la même période. Ces chiffres sont encourageants, mais insuffisants. Notre but est de tripler le revenu par habitant d’ici à quinze ans. Le bienêtre social doit connaître le même élan que notre croissance économique.
Constatez-vous l’apparition d’un embryon de classe moyenne?
« Embryon » est le mot juste. Car la vie est chère, ici, en grande partie à cause du coût de l’énergie. D’où la multiplication des projets dans l’énergie éolienne et solaire.
Pour Djibouti, l’Éthiopie est un partenaire économique essentiel. Or, depuis l’accession au pouvoir du Premier ministre, Abiy Ahmed, en 2018, ce pays de 110 millions d’habitants est tiraillé entre des forces centrifuges qui menacent son unité. Cette situation vous inquiète-t-elle?
Bien sûr. Depuis l’empire jusqu’à Meles Zenawi, en passant par Mengistu Haile Mariam, le « vivre-ensemble » n’a jamais été la règle en Éthiopie. Il y a toujours eu un dominant et des dominés. Abiy Ahmed a « renversé la table » avec d’excellentes intentions. C’est un optimiste de nature, à la fois homme politique, militaire et très pieux – protestant évangélique convaincu. Mais il se heurte à de très nombreuses résistances, en particulier au Tigré, où la population vit sous la coupe du Front de libération du peuple [TPLF]. Sa situation est donc difficile. Cela étant, nos relations personnelles et bilatérales sont bonnes.
Le 4 novembre, Abiy Ahmed a lancé une opération militaire contre les forces tigréennes. La guerre était-elle la seule solution?
Je me mets à la place d’Abiy Ahmed. L’Éthiopie est confrontée à un problème majeur : il fait face à une organisation politique, le TPLF, qui dépouille l’autorité fédérale et qui s’est structurée pour faire plier le gouvernement central.
Le Premier ministre éthiopien a le choix entre deux options. Soit discuter avec le gouvernement du Tigré en tant que deux entités séparées et qui s’équivalent. Cela ne peut aboutir qu’à la partition de l’Éthiopie, puisque ce sera un précédent en vertu duquel d’autres entités régionales pourront faire valoir leurs propres revendications sécessionnistes. Soit rétablir la loi et l’ordre fédéral, et punir ceux qui veulent casser le pays. Je pense qu’Abiy Ahmed a choisi cette seconde voie, laquelle va permettre à la population d’élire ses propres dirigeants. C’est pour cela qu’il a renvoyé le gouvernement local et dissous le Parlement du Tigré. Il est évident qu’en tant que pays frontalier, et donc potentiellement impacté, Djibouti ne souhaite qu’une chose: le retour à la paix.
Les Shebab, qui sévissent en Somalie, sont considérés comme la branche d’Al-Qaïda la mieux organisée et la plus active au monde. Comment expliquez-vous que, en dépit de la présence d’une mission militaire de 22000 hommes – dont un contingent djiboutien – et de la multiplicité des frappes de drones américains, cette milice reste toujours aussi menaçante?
Parce que nous ne sommes pas encore parvenus à décapiter ce groupe terroriste. Or c’est indispensable, car les Shebab ont disséminé leurs métastases dans l’économie criminelle au point d’y évoluer comme une sorte de mafia. Dans le port de Mogadiscio, rares sont les containers qui échappent à leur contrôle : ils taxent, rackettent, trafiquent et surtout corrompent nombre de notables. Les camps de réfugiés sont pour eux autant de viviers de recrutement de jeunes désœuvrés, qu’ils nourrissent, endoctrinent, entraînent et arment. Des élections législatives sont prévues en Somalie en 2021. Ma crainte est que l’on ne se retrouve avec un Parlement indirectement contrôlé par les Shebab, qui auront acheté une partie des députés. Le risque que représente ce groupe pour toute la région n’a jamais été aussi fort.
Et Djibouti, avec ses bases militaires étrangères, est une cible de choix pour ces terroristes, qui ont déjà frappé au Kenya et en Ouganda…
C’est évident. Ils ont frappé ici, en 2014. Mais nous sommes extrêmement vigilants, et nos services de renseignement et de sécurité sont constamment en alerte. Notre avantage, si je puis dire, est que ces extrémistes n’ont pratiquement aucun relais au sein de la population: quand ils tentent de s’infiltrer, ils sont rapidement repérés. Par ailleurs, pour parvenir jusqu’à Djibouti, il leur faut passer entre les mailles du filet que tendent les polices du Puntland et du Somaliland.
Pourquoi le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Éthiopie et l’Érythrée n’a-t-elle toujours pas eu le moindre effet positif sur vos rapports avec le président érythréen, Issayas Afeworki?
Issayas et moi nous sommes vus à Djeddah en septembre 2018. Mais ni la médiation saoudienne ni les efforts d’Abiy Ahmed n’ont permis de déboucher sur une paix des braves. J’ai pourtant fait un geste en libérant 19 prisonniers de guerre érythréens, dont Asmara n’a d’ailleurs pas voulu. Je ne vois pas d’autre explication à ce blocage que la psychologie : Issayas Afeworki est rigide et rancunier, on ne le refera pas. L’ancien Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, m’avait prévenu: « Une fois que vous vous êtes fâché avec lui, il n’oublie jamais. »
Plusieurs pays arabo-musulmans – les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan – ont annoncé la normalisation de leurs relations avec Israël. Djibouti va-t-il suivre?
Non, car les conditions ne sont pas réunies. Nous n’avons aucun problème avec les Juifs en tant que peuple, ni avec les Israéliens en tant que nationalité. Certains viennent à Djibouti avec leur passeport pour y faire des affaires, et les citoyens djiboutiens ont, depuis vingt-cinq ans, l’autorisation de se rendre en Israël. Nous avons cependant un problème avec le gouvernement israélien, qui dénie aux Palestiniens leurs droits inaliénables. Il suffirait que ce gouvernement fasse un geste, celui de la paix, pour qu’en retour nous en fassions dix. Mais je crains qu’il ne le fasse jamais.
Les Américains ont à plusieurs reprises exprimé leur inquiétude s’agissant de vos relations avec la Chine. On a même entendu un général suggérer que Pékin avait « acheté » le port de Djibouti. Ces soupçons sontils dissipés?
Ils étaient totalement infondés, mais je ne suis pas sûr qu’ils ne persistent pas. Nous ne comprenons pas, par exemple, pourquoi le crédit de 25 millions de dollars que la Banque mondiale nous a promis dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19 met autant de temps à se concrétiser. Le président de la Banque, David Malpass, est un citoyen américain. Y a-t-il une relation de cause à effet? Je m’interroge.
Vous avez pourtant concédé à l’armée américaine la plus importante base étrangère de Djibouti. Ces activités n’empiètent-elles pas, parfois, sur votre souveraineté?
Nous veillons à ce que cela ne soit pas le cas, mais ce n’est pas toujours simple. En 2013, nous avons autorisé les Américains à utiliser l’aérodrome militaire français de Chabelley, situé à une dizaine de kilomètres de celui de Djibouti, afin qu’ils y posent leurs drones de combat. Depuis, cette implantation est devenue une zone américaine exclusive où nul ne peut pénétrer, ni nous, ni les Français. Il va falloir régler ce problème.
Vous vous êtes souvent plaint d’un manque d’intérêt de la France pour Djibouti, y compris sur le plan économique. Les choses ont-elles changé depuis la visite d’Emmanuel Macron en mars 2019?
Pas vraiment, hélas. En Afrique de l’Est, les Français ne semblent s’intéresser qu’au Kenya et à l’Éthiopie, avec des résultats variables. Certes, le groupe énergétique Engie investit à Djibouti dans le solaire et l’éolien, et une délégation du Medef a prévu de nous rendre visite en janvier. C’est mieux que rien. Mais je pense que Paris devrait prendre conscience que l’intérêt de Djibouti n’est pas seulement d’ordre géostratégique. Il est aussi géo-économique. D’autres l’ont compris, et les jeunes Djiboutiens sont de plus en plus nombreux à parler l’anglais, qui est la langue des affaires dans notre environnement régional.
Djibouti a brigué avec insistance un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, avant de se voir coiffé sur le poteau, en juin, par le Kenya. Comment avez-vous vécu cela?
Comme une injustice pour nous et comme un échec pour l’UA, qui n’a pas su gérer ce problème. Le Kenya est passé en force, avec la complicité de certains pays d’Afrique australe, en bousculant toutes les bonnes pratiques. Beaucoup d’argent a été dépensé par Nairobi à cette fin. Nous sommes pourtant parvenus à mettre notre rival en ballottage et nous avons appris pour la prochaine fois. Car nous reviendrons, soyez-en sûr.
Pourquoi cette obsession d’inscrire Djibouti sur la scène internationale? Vous avez ouvert près de 50 ambassades, ce qui est considérable pour un petit pays de 1 million d’habitants.
Parce que c’est le seul moyen de ne pas être englouti dans le melting-pot de la mondialisation! Il y a trente ans, Djibouti n’existait que pour l’ancienne puissance coloniale. Aujourd’hui, nous sommes en passe de devenir l’un des hubs de la planète. C’est une question de volonté politique.
Il y a six mois, un officier pilote djiboutien, Fouad Youssouf Ali, a été extradé d’Éthiopie. Il est depuis détenu à Djibouti, et son sort a ému une partie de l’opinion ainsi que les défenseurs des droits de l’homme, qui le considèrent comme un prisonnier politique. Quand sera-t-il jugé?
Il le sera, mais la justice a son propre rythme, ici comme en France. Pour le reste, cet individu n’est pas un détenu d’opinion. Il s’agit d’un officier déserteur, qui a voulu détourner un avion pour se rendre en Érythrée, c’est-àdire en territoire hostile, avant de s’enfuir à l’étranger. Citez-moi un seul pays où il n’aurait pas été poursuivi pour de pareils faits?
Ses conditions de détention ont suscité des troubles à Djibouti et à Ali Sabieh, au sein de sa communauté. L’antagonisme entre Issas et Afars, qui a fait tant de mal à ce pays au début des années 1990, peut-il se réveiller?
Depuis plus de vingt ans, nous avons fait énormément d’efforts pour cimenter l’unité nationale et insuffler un esprit de citoyenneté. Il n’y a jamais eu autant de mariages mixtes entre Issas et Afars qu’en ce moment. S’il est un point sur lequel nous sommes parfaitement sereins, c’est bien celui-là.
Pourquoi n’y a-t-il toujours aucun média indépendant et privé à Djibouti?
Parce que cela coûte cher, tout simplement, et que le marché est réduit. Quelques projets sont en cours d’élaboration dans le numérique, mais les capacités de financement n’ont rien à voir dans ce domaine avec celles de la Somalie, où la solidarité tribale joue à plein.
Une webtélé proche de l’opposition, La voix de Djibouti, se plaint régulièrement que ses journalistes soient harcelés par la police. N’est-ce pas contraire au principe de liberté d’expression, inscrit dans la Constitution djiboutienne?
Ce média n’est pas proche de l’opposition, c’est un site d’opposition installé à Bruxelles, en Belgique. Les correspondants dont vous parlez ne sont pas des journalistes déclarés mais des quidams parfois à peine alphabétisés, qui utilisent cette couverture. Au demeurant, nous n’avons emprisonné personne.
Vous avez face à vous une opposition déterminée, mais dont les leaders sont divisés, y compris au sujet de leurs méthodes d’action. Cela fait-il vos affaires?
J’estime que c’est dommage. Toute démocratie a besoin d’une opposition qui croie au débat, à la confrontation des programmes et en l’avenir du pays. La nôtre se résume au slogan: « moi ou le chaos ». Qu’il s’agisse de Daher Ahmed Farah, d’Abdourahman Mohamed Guelleh ou d’Adan Mohamed Abdou, aucun ne respecte les règles qui permettent la formation d’un parti. Un parti, ce n’est pas juste une patente avec un fondateur et une dizaine de membres qui ne tiennent jamais de congrès. Mais bon, nous préférons fermer les yeux.
Pourtant, l’Union pour le salut national avait obtenu dix sièges de députés et plus de 35 % des voix aux législatives de 2013. Il existait donc une vraie opposition à Djibouti. Comment expliquez-vous qu’elle ait à ce point régressé?
Ce score était dû à la composante islamiste de cette coalition, le Model, une déclinaison des Frères musulmans, qui mobilisait sur la base de la religion. Nous avons pris les mesures nécessaires pour en réduire l’impact. Ses principaux leaders ont quitté Djibouti pour la Turquie et le Canada, où il ne leur reste plus que Facebook pour tenter d’endoctriner les fidèles. Quant aux prêches, les consignes sont strictes. C’est le ministère des Affaires musulmanes qui en a la charge exclusive. Ils sont envoyés par e-mail dans chaque mosquée, et les imams ne peuvent y rajouter un seul mot lors de la prière du vendredi. Je crois que les autorités françaises seraient bien inspirées de nous imiter. C’est le seul moyen d’empêcher les extrémistes de sévir.
Il n’y a pas que la grande prière hebdomadaire. Quid des autres prêches?
Les imams et les muezzins sont des fonctionnaires rémunérés par l’État. S’ils prêtent leur micro à un individu qui se livre à l’apologie de la violence et du jihad, qui profère slogans et insultes, c’est leur responsabilité, et la sanction est immédiate. En ce sens, on peut dire que nous les tenons. Mais nous avons de moins en moins besoin de le faire, car nos religieux sont de plus en plus formés et éduqués. Ils savent que le véritable islam est fait de savoir et de tolérance.
L’élection présidentielle doit se tenir en avril 2021. Serez-vous candidat à un cinquième mandat?
Je ne peux pas, aujourd’hui, me positionner sur ce point. Il faut laisser le pays et l’administration fonctionner. Je me prononcerai très bientôt, inch Allah.
Comme vous devez le savoir, personne à Djibouti ne doute que vous le serez…
Vraiment ? Qu’on me laisse un peu de temps pour répondre.